Journal du Dimanche
(6 février 2000)




"On les appelle les cataflics"


Le commandant Saratte, fondateur et chef de l'Equipe de Recherche et d'Intervention des Carrières, raconte les patrouilles de sa brigade.

Chaque année, près de 15 000 personnes s'aventurent dans les carrières interdites de la capitale. Une brigade spéciale est chargée de patrouiller dans les galeries. L'équipe de Recherche et d'Intervention des Carrières (ERIC), fondée et dirigée par le commandant Saratte, a été confiée le 1er janvier 2000 à la Direction de l'Ordre Public et de la Circulation (DOPC). Après une vingtaine d'années passées à sillonner les carrières pour faire respecter l'ordre dans les sous-sols parisiens, Jean-Claude Saratte part en retraite cet été. Il revient sur les interventions épiques de l'ERIC:

Le Journal du Dimanche : « Quelles mesures prenez-vous contre les cataphiles ? »

Jean-Claude Saratte : « J'ai le devoir de verbaliser toutes les personnes rencontrées à l'intérieur du réseau. Mais je préfère pratiquer une répression passive : je contrôle leur identité et je fais de la prévention. Bien sûr, lorsqu'il y a des pics de fréquentation, là, je sors le carnet de contraventions, ce qui a pour effet de diminuer sensiblement l'affluence ! »

JDD : « Chaque année, il y a de nombreux accidents dans les carrières. »

JCS : « Beaucoup de chutes ! Parfois très graves. Un jeune polytechnicien venu fêter l'obtention d'un diplôme est tombé dans un puits de vingt mètres de profondeur. Il est aujourd'hui paraplégique. Et puis, il y a aussi ceux qui se perdent. Je me souviens notamment d'une adolescente qui a tourné 36 heures dans le noir avant de retrouver à tâtons la sortie... »

JDD : « Quels conseils donner aux irréductibles ? »

JCS : « Ne jamais descendre sans un guide et respecter les règles de sécurité : avoir de la lumière en suffisance, une boussole, de quoi se restaurer, et détenir des plans, pas de vagues schémas récupérés sur Internet et illisibles, voir erronés. Je recommande vivement aux habitués de se faire vacciner contre la leptospirose. Une maladie mortelle transmise par l'urine des rats. »

JDD : « Il existe une véritable guerre souterraine entre les cataphiles et l'Inspection Générale des Carrières (IGC) chargée de boucher certains accès. »

JCS : « Oui, l'IGC mure de plus en plus les galeries dans le but d'empêcher les jeunes de s'approprier les lieux. Mais croire que condamner des passages est efficace, c'est bien mal connaître nos amis les taupes ! Les cataphiles repassent derrières : ils piochent, et même certains d'entre eux n'hésitent pas à avoir recours à des explosifs pour éventrer un mur. C'est inconscient et terriblement risqué car une explosion peut provoquer de graves effondrements, dans les carrières mais aussi en surface... »

JDD : « Contrairement à l'IGC, les cataphiles vous apprécient. En bas, vous êtes une vedette... »

JCS : « Nous avons des rapports ambigus. Ils sont contents de nous voir. Ce qui est plutôt curieux ! Nous faisons partie de leur microcosme : on est des cataflics. Ce qui fait que nous avons une certaine complicité avec eux. Mais, cet été, je pars en retraite. La relève est assurée. Mais dire que la nouvelle équipe aura la souplesse du père Saratte, c'est à voir ! »

Propos recueillis par Carole Lefrançois
(Journal de Dimanche, 6 février 2000)